« Le défi » posé par les jeunes filles a été introduit par un éclairage historique de Véronique BLANCHARD, historienne, formatrice et éducatrice, mettant en évidence ruptures et continuités dans le regard social et criminologique porté sur elles depuis le 19è siècle jusqu’à nos jours. Si défi il y a, celui provient du très faible nombre d’études consacrées à la délinquance des filles. Leur délinquance revêt un caractère marginal, difficile à définir et à expliquer. Du point de vue du traitement judiciaire, cela a comme conséquence l’éclipse de cette délinquance, renvoyée à la sphère privée, comme révélatrice d’une non-conformité aux normes de genre. Alors que la justice reproche à travers leurs comportements aux garçons ce qu’ils font, elle reproche - même sans délit de leur part- aux filles ce qu’elles sont, non conformes aux attentes sociales. A comportement similaire, l’analyse et la réponse sociale est à travers l’histoire, différente pour les garçons et pour les filles. Pour les filles, les actes délinquants sont attribués à une supposée « absence de féminité » et l’intervention éducative est pensée du point du rétablissement social, pour sauvegarder leur morale, les maintenir dans l’ignorance de leur corps, et dans l’innocence qu’elles ont par nature. De nombreux exemples de foyers pour jeunes filles ont été présentés, à l’image du « Bon Pasteur » ou du foyer de Brécourt. L’histoire nous enseigne ainsi que rechercher une spécificité du côté des actes délinquants posés par les jeunes filles s’avèrerait vain. Si singularité il y a, elle serait à rechercher dans la réaction sociale qu’elle suscite.

Si ces considérations se sont transformées au cours de l’histoire, notamment sous l’effet des mouvements féministes, perdurent aujourd’hui des pratiques qui maintiennent durablement les jeunes filles dans un système de protection, en dépit chez certaines d’entre elles, de passages à l’acte répétés au cours de leurs placements successifs. Cela questionne l’installation d’un sentiment d’impunité chez ces jeunes filles dans la construction d’une délinquance de plus en plus massive et violente, selon la recherche du GIP droit et justice réalisée par Cindy DUHAMEL, Elise LEMERCIER et Dominique DUPREZ, et pour reprendre les travaux de Coline CARDI, un « déni historique de la violence des filles ».

Marginalisée dans sa compréhension spécifique, la délinquance des jeunes filles l’est également d’un point de vue statistique, ces deux constats s’alimentant vraisemblablement. En effet, selon l’étude présentée par Elise LEMERCIER, sur les 17 % de mineurs poursuivables que représentent les jeunes filles, 9 % d’entre elles sont poursuivies, avec 22% d’aménagements de peine prononcés et 6 % de peines d’incarcération.

Du point de vue des pratiques d’accueil, le défi posé par les jeunes filles aux professionnels est celui d’une plus grande complexité ressentie, et d’une moins grande gratification. Bien que la mixité de la plupart des structures de la PJJ soit prévue, celle-ci n’est pas effective dans les faits la plupart du temps, à l’exception de structures spécialisées dans l’accueil des filles (présentation d’un film sur le Centre Educatif Fermé de Doudeville dans le Calvados). L’accueil des jeunes filles suscite des résistances alimentées par la crainte de « ne pas savoir faire », de ne pas pouvoir protéger la jeune fille des autres garçons, et peut-être d’elle-même à travers des comportements de mise en danger. Inscrite dans les programmes de formation continue des professionnels, la mixité devrait ainsi devenir, selon Muriel EGLIN, sous-directrice à la PJJ, « un levier éducatif à moduler », dépassant la seule considération de l’organisation des locaux. Accueillir une jeune fille, dans une structure de placement ou en milieu ouvert, nécessite avant tout de pouvoir se départir de ses propres représentations sur le féminin et le masculin, fermement ancrées et véhiculées à l’échelon individuel par la pensée sociale (présentation de Camille ALARIA, sociologue). De manière à pouvoir dans un second temps, développer une approche des enfants – filles ou garçons – avant tout à partir de leur vulnérabilité, d’identifier les modalités d’expression spécifiques de cette souffrance, et les besoins spécifiques qui en découlent. Il s’agit de développer des outils (structures d’accueil, médias éducatifs, mesures éducatives…) adaptées aux singularités des jeunes filles, sans reproduire l’essentialisation liée aux normes de genre.

Si les filles mettent les professionnels au défi, ce serait donc avant tout dans le repérage et la compréhension de certains signaux. Des signaux où le rapport au corps très prégnant pose la question du travail sur l’intime : troubles de la conduite sexuelle, mais aussi grossesses précoces ou déni de grossesse, troubles des conduites alimentaires (interventions d’Ariane DANJAUME, psychologue clinicienne maternité Port Royal et Pierre-Etienne GRUAS, Directeur général d’une structure d’hébergement pour mineurs victimes d’abus sexuels intra-familiaux).

Ce travail de repérage et d’évaluation est remis au cœur du travail éducatif avec les figures renouvelées des phénomènes d’emprise auprès des adolescents, et notamment des jeunes filles qui basculent dans la pensée radicale (présentations de Monsieur MAZABRAUD, ancien juge des enfants à Paris, Djamila TAIL, responsable d’unité éducative PJJ, Ariel PANEIX assistant spécialisé déradicalisation à la CA de Paris). Les femmes représentent 27,5 % des personnes signalées, c'est-à-dire des personnes qui ont été intégrées dans l’outil de mise en commun des informations que le Ministère de l’Intérieur a créé. Plus spécifiquement, la moitié des mineurs qui ont été signalés sont des jeunes filles et cette part continue d’augmenter. Au sein du cadre normatif véhiculé, les normes de genre, de virilité et féminité sont exacerbées envers les filles et les garçons et jouent à ce titre un rôle tout particulier. C’est ce qui explique que les jeunes filles radicalisées soient souvent séduites par une certaine vision des rapports entre hommes et femmes et notamment « par l’idée de la femme princesse et de l’homme prince charmant ».

Cette journée particulièrement riche a été clôturée par l’intervention d’Adrien TAQUET, Secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’Enfance, et suivie le lendemain par une matinée consacrée à la réforme de la justice pénale des mineurs : état de lieux de la réforme de l’ordonnance du 2 février 2945 et débat autour des propositions portées par l’AFMJF.

 

Pour approfondir, les liens vers les recherches présentées :

http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2016/12/rapport-Duhamel-Duprez-Lemercier.pdf

http://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/Rapport_Recherche_ORDCS_N7.pdf

Véronique Blanchard, David Niget, Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles, ed. Textuel, 2016.