Jean-Louis Nouvel, pédopsychiatre, responsable de l’Accueil familial thérapeutique (AFT) de Poitiers et président de l’association Riafet (Réseau d’intervenants en accueil familial d’enfants à dimension thérapeutique) présente dans un premier temps le fonctionnement des AFT. Les AFT ont été créés dans les années 60 pour accompagner les enfants dont les parents souffrent de pathologies mentales et qui sont placés en familles d’accueil majoritairement sur le long court. Les troubles psychiatriques importants des parents empêchent une parentalité de qualité. Les AFT accueillent une vingtaine d’enfants et se composent d’une équipe pluridisciplinaire. L’observation de liens hautement pathogènes avec les parents est le premier critère d’orientation vers les AFT. Ils organisent des rencontres médiatisées entre les enfants et les parents mais plus largement ils visent à travailler ce lien qui ne se réduit pas à la rencontre, évolue et se nourrit autant de la présence que de la séparation. Les professionnels des AFT accompagnent l’enfant avant et après les visites pour qu’elles ne réactivent pas des situations traumatiques. Ils préparent également la rencontre avec les parents. Chaque enfant a un professionnel référent qui le connait bien et représente pour lui une constance relationnelle signifiante. Par ce travail, les AFT souhaitent aider les enfants à se construire une narration de leur histoire personnelle et familiale. L’AFT a enfin pour objectif d’aider la famille d’accueil à avoir confiance dans ses actions, et de les conseiller quand nécessaire.

Une fois le fonctionnement des AFT présenté, Jean-Louis Nouvel expose les principaux résultats d’une recherche qui a porté sur le devenir des enfants accueillis en AFT. Réalisée entre mai 2015 et septembre 2017, la recherche a porté sur trente-trois adultes ayant bénéficié d’AFT, âgés de plus de 20 ans et qui étaient sortis du dispositif depuis au moins 3 ans. Quatre échelles d’évaluations ont été passées à chacun, leurs dossiers ont également pu être étudiés. La recherche montre qu’ils se distinguent peu de la population générale sur les critères appréciés. En effet, ils ne présenteraient pas de caractéristiques spécifiques du point de vue de leur profil d’attachement. Ne s’observent pas non plus d’atteintes fonctionnelles notables, ni de prévalence du point de vue des pathologies mentales. A ce titre, les résultats de l’étude se distinguent de ceux habituellement observés pour des enfants sortant de la protection de l’enfance dont il est souvent montré qu’ils ont une santé mentale et physique plus mauvaise que dans la population générale. Il apparait que les enfants qui ont été séparés de leurs parents avant les 25 mois et admis à l’AFT avant 33 mois appartiennent tous au groupe d’attachement le plus sécure, ce résultat encourageant la prise en charge précoce des enfants quand la situation le nécessite. Cela amène aussi à questionner la singularité des AFT dans le paysage institutionnel de la protection de l’enfance et à valoriser le déploiement de leurs places.

Nicole Haccart, infirmière de secteur psychiatrique de formation initiale, est ensuite intervenue. Elle a créé une structure en Aveyron, au sein duquel sont accueillis des enfants et adolescents bénéficiaires de la protection de l’enfance dont les troubles graves des comportements ont mené à l’exclusion des dispositifs plus ‘’traditionnels’’. Lors de cette intervention, elle décrit les spécificités de la structure qui accompagne les jeunes de 16 à 21 ans sur une période longue. Initialement constituée uniquement de plusieurs studios, la structure s’est agrandie avec l’ouverture d’une villa proposant 6 places. Ce sont au total 24 jeunes qui sont pris en charge. Ils font tous face à des problématiques très diversifiées et ont pu connaitre 20 à 25 lieux de placements antérieurement.

Quelques principes de fonctionnement caractérisent ce lieu. D’abord, la volonté d’allier l’éducatif et le soin est au cœur de son identité. La structure entend tant prendre soin et donner des soins. Cela se traduit par le recrutement d’une équipe mixte (éducateurs, infirmiers, intervention de psychiatres, thérapeutes spécialisés etc.) Le choix a été fait de ne pas sélectionner les profils d’accueil et de ne pas exclure. Un service d’accueil de jour s’est progressivement développé avec une approche globale, intégrative, pilotée par une neuropsychiatre qui mobilise des approches thérapeutiques très variées.

Avec les professionnels, le jeune est invité à comprendre ce qui le met en difficultés et à décoder les situations qu’il rencontre. Si tous les enfants ne sont pas concernés par des troubles psychiatriques, Nicole Haccart estime qu’il est nécessaire que tous les intervenants disposent d’une base de formation en santé mentale et d’une palette d’outils très diversifiés pour aider les personnes à agir. Les professionnels déploient une approche psychoactive qui consiste à partir du jeune et à l’accompagner dans l’identification de ses problématiques. Elle repose sur une approche motivationnelle, une méthode de questionnements spécifiques, la recherche d’outils aidant le jeune à contrôler ses comportements et à développer ses ressources afin de le valoriser. Le lieu s’efforce de proposer des soins ciblés et apporte une attention particulière aux mots mobilisés (humeur, perception, gestion des anxiétés, auto-activation etc.) La prise en charge du jeune passe pour Nicole Haccart par une approche intégrative qui repose sur un travail autour de 3 axes : un axe centré sur les parcours, un axe neuropsychologique et enfin un axe psychiatrique.

Enfin, Céline Jung et Melaine Cervera, tous deux sociologues et membres de l’Association de promotion des expérimentations sociales (Apex), ont présenté leur recherche sur les Lieux de vie et d’accueil (LVA). Les LVA sont des lieux où sont placés des jeunes rencontrant des problématiques particulièrement aiguës et pour lesquels des précédentes prises en charge ont échoué. Les LVA accueillent une proportion importante d’enfants avec la notification MDPH en partie pour des raisons psychiatriques.

En se distinguant dans l’approche proposée habituellement en protection de l’enfance, la recherche montre que les LVA constituent une solution durable pour des enfants à problèmes multiples et qu’ils parviennent à être producteurs de sens. Très peu nombreux, fin 2017, on comptait 426 LVA avec des formats très variés du point de vue du statut, de l’habitat, du public etc. Les LVA se définissent comme étant en marge de l’institution.

Après avoir présenté l’enquête menée en immersion dans 6 LVA à partir d’une approche ethnographique, les chercheurs ont exposé les six caractéristiques des LVA qu’ils ont identifiées comme étant des facteurs de stabilisation des jeunes. D’abord le fait que les LVA soient de petites unités du point de vue du nombre d’enfants et des professionnels, qu’ils proposent une multiplicité de petits espaces et qu’ils reposent sur une dimension élective sont autant de facteurs de leur réussite. A cela s’ajoute l’implication d’une ou deux « permanents » qui vivent constamment avec les jeunes et constituent des « figures repères ». La dimension partenariale apparait aussi essentielle : les liens sont étroits entre la sphère sanitaire et médicosociale, des psychologues peuvent y intervenir, l’école inclusive est mise en place. Enfin, c’est le profil des permanents qui ont souvent quitté des structures de prise en charge traditionnelles qu’ils trouvaient trop rigides et leur positionnement où se mêle fortement les sphères professionnelles et intime qui participeraient des effets positifs de la prise en charge en LVA. Le sentiment d’appartenir à une communauté à distance de l’institution est fort, et l’autonomie organisationnelle revendiquée. Les LVA évoluent constamment, leur projet connait des adaptations et innovations permanentes.

Ces caractéristiques identifiées comme des facteurs contribuant à la stabilisation des parcours des jeunes soulèvent cependant un certain nombre d’interrogations pour les chercheurs. La personnalisation interroge la transmission par exemple. L’absence de modélisation peut représenter un obstacle à l’obtention de financement et il en découle une difficulté à les identifier, à être informé de leur ouverture ou fermeture. Néanmoins, les LVA sont des lieux rares et précieux de rencontre et d’articulation entre la pédopsychiatrie, la psychologie et la sociologie.